Zones d’intérêt cinématographiques.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
L’événement de la semaine, c’est la sortie de La Zone d’intérêt, le nouveau Jonathan Glazer, qui filme la vie bourgeoise du directeur du camp d’Auschwitz. Glaçant, dérangeant et remarquablement important. A voir tous les jours de la semaine et particulièrement mardi 6 février à 19h car la séance sera animée par le collectif Tsedek!. Vendredi à 20h, nous aurons un Rendez-vous du cinéma grec et toute la semaine d’autres films qui nous ravirent, dont May December, le dernier Todd Haynes, et Priscilla de Sofia Coppola.
C’est une délicieuse habitude des Rendez-vous du cinéma grec de dénicher des pépites, tel Le Réveil du dimanche, de Michael Cacoyannis. Pour son premier film en 1954, le futur réalisateur de Zorba le Grec signait avec la vivacité d’un Lubitsch, une sorte de « rom-com » influencée par le néo-réalisme italien. Une pétillante curiosité.
Pétrifié par la monstruosité des crimes nazis, on ne pense pas souvent aux bourreaux qui exécutèrent l’horreur planifiée. Pourtant, il en fallut de bons soldats pour exterminer des millions de déportés, Juifs notamment, et Rudolf Höss fut l’un des plus zélés. Fermement et précocement convaincu par le nazisme, il intègre la SS en 1934, et prend vite des responsabilités dans le mécanisme de la « solution finale », qui le conduisent à diriger Auschwitz-Birkenau. C’est dans La Zone d’intérêt, ce territoire « neutre » qui borde le camp, que le saisit Jonathan Glazer ; la famille Höss y coule des jours heureux dans une jolie maison fleurie, à l’ombre des grands murs gris, des miradors et des cheminées des fours crématoires. Rudolf n’a pas grand trajet à faire pour, chaque matin, quitter la douceur du domicile conjugal et se rendre au boulot, afin de superviser et d’optimiser le meurtre de masse de milliers de gens. On ne verra jamais les victimes de ce bon père, bon mari, excellent cavalier, et efficace bourreau, mais elles sont là, omniprésentes. Le force du film de Jonathan Glazer réside dans le paradoxe entre ce hors-champ oppressant, et la simplicité de la vie du couple Höss, Christian Friedel et Sandra Hüller, tout aussi stupéfiante que dans Anatomie d’une chute. Avant d’être pendu à la fin de la guerre, Rudolf rédigea ses « mémoires » dont s’inspira Robert Merle pour écrire son célèbre roman La Mort est mon métier. Glazer, lui, tire son sujet et son titre de La Zone d’intérêt, un livre de Martin Amis, auteur gallois décédé le 19 mai 2023, alors que le réalisateur montrait son film à Cannes, où il obtint un Grand Prix justifié. Par son regard décalé et contemporain sur la Shoah, Jonathan Glazer nous interroge sur ce qu’est un bourreau en nous plongeant dans l’intimité de sa propre Zone d’intérêt. C’est remarquable. Des membres du collectif Tsedek! viendront commenter la séance de mardi 19h.
Accompagné d’un cycle Todd Haynes, May December, sorti la semaine dernière, poursuit sa carrière. Grand générateur de troubles, le réalisateur trouve ici un sujet de choix, une comédienne rencontre la femme qui fit scandale qu’elle doit interpréter à l’écran, et deux actrices impeccables. Elizabeth (Natalie Portman) s’immerge donc dans le quotidien de Gracie (Julianne Moore), qui vit désormais heureuse avec l’adolescent qu’elle « pervertit » (au regard de la loi) vingt ans plus tôt, et dont elle a aujourd’hui trois enfants. Charles Melton, très bien en ex-gamin, devenu homme fort capable de supporter la pression de l’opprobre, apporte un riche contrepoint à la complicité conflictuelle des deux femmes. Elles donnent toutes deux un brillant numéro, et on est une fois de plus bluffés par la présence de Julian Moore, sublime en toute saison : May December.
N’oubliez pas de voir plus bas les affiches qui résument le reste de notre programme (avez-vous vu Priscilla ? Et Past Lives ?), et concluons avec L’Enfance de l’Art. Mercredi à 14h30, Jean-Jacques Denis et Anthony Roux nous proposent les aventures de Princesse Dragon et dimanche à 14h Mamoru Hosoda nous livre un beau récit initiatique : Le Garçon et la bête.
Intéressante semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action