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L'Édito

Réalité virtuelle.

L'Édito

Réalité virtuelle.

Chères spectatrices, chers spectateurs, 

A moins qu’il ne s’agisse de virtualité réelle dans Eat the Night, le dernier film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel que nous sortons cette semaine. Un film fort, âpre, brutal, qui prend aux tripes car la tendresse n’est jamais loin de la violence. Outre cette nouveauté, les amateurs de films de genre se raviront devant la trilogie Dead or Alive, trois versions des délires yakuzistes de Takashi Miike. Et puis l’on poursuit aussi avec Partie de campagne, petite merveille inachevée de Jean Renoir, éclairée lors de la séance de samedi 13h15 par La Direction d’acteur par Jean Renoir, documentaire de Gisèle Braunberger. Évidemment, les films qui feront notre été – Le Moine et le fusil de Pawo Choyning Dorji, The Bikeriders de Jeff Nichols notamment – poursuivent leur carrière. Mention spéciale pour eXistenZ, où David Cronenberg imaginait en 1999 les dérives du jeu vidéo et a sans doute inspiré Caroline Poggi et Jonathan Vinel. 

Car Apo et Pablo se sont construits en incarnant leur personnage sur Darknoon, un jeu de combat d’heroic fantasy, clinquant et sanglant, qui a permis à la sœur et son grand frère d’oublier leur morne univers pavillonnaire d’une ville industrielle et l’abandon parental dans lequel ils se débrouillent ; elle en survivant au lycée, lui en dealant les pilules d’extasy qu’il fabrique. Eat the Night commence quand Darknoon annonce son arrêt définitif. Dès lors est lancé un irrémédiable compte à rebours vers la fin du monde refuge d’Apo et Pablo. Ce dernier en trouve un autre dans les bras de Night, un garçon qu’il va initier à ses trafics et entraîner dans une mortelle rivalité avec une bande rivale, sous le regard triste et impuissant de Lila Gueneau, jeune actrice bluffante qui incarne Apo. Avec Théo Cholbi et Erwan Kepoa Falé, elle forme un trio nécessairement dysfonctionnel mais diablement convainquant. Eat the Night creuse le sillon singulier de Caroline Poggi et Jonathan Vinel qui interrogent la violence de notre monde finissant. Après s’être fait remarquer en 2014 avec Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, court métrage primé à Berlin, le duo présente là son deuxième long, après Jessica Forever (2019). Eat the Night est un thriller désespéré, terriblement noir, mais brillamment mené par ces deux jeunes cinéastes visionnaires qui filment aussi vite que file la moto verte de Pablo. A la brutalité stylisée et virtuelle de Darknoon, répond celle, bien réelle, du monde de la rue. Comme la fin annoncée du jeu, elle ne laisse aucune chance, aucune rédemption, aucun espoir. On ne sort pas indemne de Eat the Night mais avec le sentiment d’avoir vu un film qui raisonne avec son époque, et confirme l’émergence d’un duo qui devrait la marquer. 

Réalisateur punk et prolifique, Takashi Miike a signé près d’une centaine de films et téléfilms. Dans beaucoup, il développe son esthétique déglinguée, sa vision trash, son montage électrique et son amour pour la violence. La trilogie Dead or Alive, trois films sans lien apparent, si ce n’est ce qu’on appellera pudiquement une « tonalité », demeurent parmi ses œuvres les plus marquantes. Les amateurs de ce genre de cinéma retrouveront avec plaisir le policier Jojima traquant un chef yakuza dans le premier opus, le petit truand Mizuki, héros raté de Dead or Alive 2, et le dictateur du numéro 3 qu’un groupe révolutionnaire veut éliminer. C’est dans ce Dead or Alive 3 que l’on comprend les clés de la trilogie…

Ne ratez surtout pas l’occasion de voir ou revoir sur copie neuve, Une partie de campagne, ce délicieux film adapté d’une nouvelle de Maupassant par Jean Renoir en 1936, qui, bien qu’inachevé, demeure d’une élégance inégalée. Si vous venez samedi à 13h15, vous aurez en supplément le documentaire La direction d’acteur par Jean Renoir, où Gisèle Braunberger révèle la méthode de cet immense cinéaste. 

Tous les autres films projetés cette semaine sont affichés plus bas, et l’Enfance de l’Art de dimanche 14h joue dans le burlesque avec Laurel et Hardy au Far-West de James W. Horne. 

Belle semaine. 

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action