Mélodie en eaux troubles
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Vous avez été nombreux, et nous vous en remercions, à découvrir un film inédit en France, The Swimmer. Ce film, réalisé dans des conditions cataclysmiques en 1968 par Franck Perry et Sydney Pollack, est une bien étrange métaphore de la société américaine. Il bénéficie aussi de la musique organique du tout jeune Marvin Hamlisch, qui allait devenir l’un des compositeurs majeurs de l’Hollywood contemporain. Si Burt Lancaster nage en eau trouble, un autre trouble envahit les spectateurs de Seven, que le Ciné-Club Louis Lumière a choisi de projeter mardi soir, dans le cadre de sa soirée mensuelle. Ce film magnifique et terrifiant de David Fincher (récemment plébiscité pour The Social Network) a été éclairé par un chef opérateur français d’origine iranienne. Darius Khondji, l’un des maîtres de la lumière au cinéma, sera l’invité du Club Lumière qui, logiquement, nous permet de rencontrer le gotha des directeurs de la photo. Khondji a su créer une ambiance angoissante pour éclairer le parcours d’un tueur en série obsédé par les péchés. Morgan Freeman et Brad Pitt, déboussolés par la virtuosité du monstre, mènent une enquête qui les conduit à la limite d’eux mêmes. Quant au reste de notre programme, il se partage entre films produits par Dino de Laurentiis, films interprétés par Burt Lancaster, Voyage Fantastique, Dolce Vita, Desaxés et Porte du Paradis.
Si The Swimmer est le cauchemar d’un homme qui nage, porté par le projet saugrenu de rentrer chez lui en passant de piscine en piscine, le tournage fut aussi un enfer. Adapté d’une nouvelle improbable, The Swimmer fut produit par Sam Spiegel, qui n’était pas un ange. Il imposa des coupes, refusa de payer le dépassement de budget – Lancaster, qui avait déjà dû surmonter sa phobie de l’eau, en fut de sa poche – et vira sans ménagement Franck Perry. Pollack termina le film et accepta les diktats de Spiegel, tout en réalisant au final une œuvre étonnante, personnelle qui annonce le Nouvel Hollywood. Par son thème, la déchéance d’un homme brisé dans une société aussi insouciante que cruelle, The Swimmer est un pavé dans la piscine du rêve américain. Si Spiegel était un tycoon despotique, il avait donc une vision, et aussi une oreille. Repéré dans une soirée qu’il ambiançait au piano, Marvin Hamlisch, alors âgé de 23 ans, fut engagé pour réaliser la bande son du film. Seul dans son coin et loin de l’électricité du tournage, il utilisa les sons de la nature pour appuyer ses thèmes et leur donner une profondeur. Le résultat est bluffant et lança la carrière d’Hamlisch, qui apparaît au générique de près de 50 films, dont L’Arnaque, Le Choix de Sophie ou, récemment, The Informant. Homme délicieux, Marvin Hamlisch est venu au Grand Action cet été pour évoquer sa filmographie. Peut-être y étiez-vous ?
Une partie du reste de notre programmation rend hommage à ce guépard de Burt Lancaster. Car si l’homme était un prototype du héros et un magnifique athlète (mesdames, il est en maillot de bain pendant toute la durée du Swimmer, et « waouh ! » serait-on tenter de dire), il n’eut jamais peur de casser son image. Truand minable dans Atlantic City de Louis Malle ou dans Les Tueurs de Siodmak, Major de l’armée américaine dans Un château en enfer ou shérif retraité dans Règlement de compte à OK Corral. Reconnaissons que dans La Flèche et le Flambeau et plus encore dans Tant qu’il y aura des Hommes, de Fred Zinnemann, il donne corps au mythe (la scène du baiser dans les vagues avec Deborah Kerr !).
Autre mythe, mais celui-ci derrière la caméra, Dino de Laurentiis fait partie des hommes qui ont marqué l’histoire du cinéma. Producteur de plus de 500 films, dont 38 furent nominés aux Oscars, il travailla entre Europe et Amérique au service de Fellini pour La Strada, de Godard pour Pierrot le Fou, de Carlo Lizzani pour le Procès de Vérone, de Lumet pour Serpico, de Pollack pour Les Trois Jours du Condor, de Cimino pour L’Année du Dragon, et de Bergman pour l’Œuf du Serpent. Quel éclectisme !
Terminons, comme à l’accoutumée, avec l’Enfance de l’Art, où Polanski anime un danse floor Transylvanien lors du Bal des Vampires.
Bonne semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action