Media power
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Il suffit d’allumer son poste de télévision – ce qui est déjà une forme d’aliénation que nous déconseillons – pour constater que les média, dans leur forme souvent la plus vulgaire, ont pris le pouvoir. C’est l’objet du cycle que nous leur consacrons, pour accompagner le film visionnaire de Billy Wilder, Ace in the Hole, où le journaliste ne relate pas, mais fabrique l’événement. A propos d’événement, deux sont prévus cette semaine au Grand Action. Le premier se tiendra jeudi soir : un classique Cinéma Club, avec un non moins classique Lubitsch, le pétillant To Be or not to Be, suivi d’un débat animé par le critique et historien du cinéma Jean Narboni, puis – deux bonheurs n’arrivant jamais seuls – d’un verre. Rebelote le lendemain, toujours à 20h, avec notre nouveau Festival les Insensés passent à l’Action, coorganisé avec les éditions Wombat. Tous les deux mois environ, cette jeune maison d’édition organisera une rencontre autour d’une de ses publications et l’animera avec un film et un cocktail. C’est sympa. D’autant que pour ce premier rendez-vous, nous célébrerons la parution de deux livres du regretté Roland Topor, tout en visionnant le dernier film de Jacques Richard, qui fut son ami et collaborateur. On imagine aisément qu’un tel statut implique une bonne dose de loufoquerie. Loufoquerie confirmée par le titre du film, L’Orpheline avec en plus un Bras en Moins, mais aussi son thème, son ambiance et ses interprètes (Dominique Pinon, Melvil Poupaud, Jean-Claude Dreyfus, et la jeune et épatante Noémie Merland). Une belle soirée en perspective qui se prolongera autour d’un cocktail en notre Grand Bar.
L’on se souvient avec effroi du « temps de cerveau disponible », si cher à TF1 au temps de M. Le Lay, grand artisan du putsch médiatique et de la machine à désinformer. Mais les média n’ont pas attendu la récente émergence de la téléréalité pour décérébrer le téléspectateur. Dans les années 50 déjà, Billy Wilder sentait poindre la dérive et, s’appuyant sur plusieurs faits divers qu’il avait côtoyés en tant que journaliste, écrivit, produisit et réalisa le Gouffre aux Chimères (Ace in the Hole). Le carnassier Kirk Douglas y interprète un journaliste blacklisté par la profession, mais prêt à tout pour retrouver son rang. Y compris à exploiter le malheur d’un pauvre gars, à flatter la bassesse de la foule, et à manipuler la réalité qu’il est devrait, déontologiquement, relater. Mais, tous les journalistes, au cinéma comme dans la vie, ne sont pas des pourris et notre cycle Les Média se charge de nous le rappeler. Ainsi, le reporter incarné par Humphrey Bogart dans Bas les Masques, de Richard Brooks, fera éclater la vérité malgré les pressions de la pègre. Celui du Bûcher des Vanités, de Brian de Palma, ne lâche pas sa proie, tout comme le rédacteur en chef Cary Grant qui, pour récupérer son ex-épouse qui fut également sa meilleure journaliste, l’envoie interviewer un condamné à mort, dans un comédie délirante de Howard Hawks, La dame du Vendredi. Mais les choses parfois sont moins roses et les journalistes très antipathiques, comme dans le film très « languien » La Cinquième Victime, où le tueur traqué par le presse en devient presque attachant. Ou bien dans Le Rebelle, drame de King Vidor, où un architecte idéaliste est violemment attaqué par le propriétaire d’un journal. Et que dire du machisme de Ron Burgundy-L’Anchorman, de Adam McKay, où Will Ferrer est un présentateur vedette qui ne supporte pas qu’une femme lui fasse de l’ombre ? D’autres films viendront enrichir ce cycle sur les média dans les semaines qui viennent.
En attendant il est encore temps de succomber au charme vénéneux de Killer Joe, le tueur à gage inventé par de William Friedkin et Tracy Letts, son scénariste. C’est Matthew McConaughey qui a la chance d’interpréter ce flamboyant personnage, flic le jour, tueur la nuit, qui va bouleverser la vie une famille de ploucs débiles et parfaitement amoraux. C’est violent, dérangeant, et très drôle, comme finalement Friedkin lui-même.
A l’affiche également, nos deux De Palma, Blow Out et Pulsions, et la séance hebdomadaire de l’Enfance de l’Art. Seconde chance, pour ceux qui l’aurait ratée, de voir Chang, le remarquable documentaire que Cooper et Schoedsack tournèrent en Thaïlande (on disait alors le Siam) en 1927.
Bonne semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action