L’Enfance de l’Art.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Ce titre emprunté à nos amis des séances jeune public dominicales et des rituelles dernières lignes de nos courriers, fait aussi référence à Fear and Desire, le premier long métrage de Stanley Kubrick, quasiment inédit en France et que avons la joie de projeter sur copie neuve. Une expérience courte, intense et essentielle pour tous cinéphiles. Egalement au programme, Looper, petit bijou d’anticipation bien retors de Rian Johnson, Ace in the Hole et un cycle consacré à Billy Wilder, notre cher pervers Killer Joe, de William Friedkin, plus, bien sûr, une séance de l’Enfance de l’Art avec Moby Dick.
En 1952, Stanley Kubrick n’a que 24 ans, mais déjà une carrière derrière lui. Celle d’un photographe prodige qui, très tôt initié à cet art par son père, a débuté pour le célèbre bimensuel Look à 17 ans. Fort de deux-trois courts métrages un peu repérés par la critique, il abandonne son poste pour réaliser son premier long : Fear and Desire. Mais pas question pour ce jeune homme pressé de passer sous les fourches caudines de la production. Il emprunte quelques dizaines de milliers de dollars à sa famille et, entouré de 5 comédiens, de 4 porteurs mexicains, et d’une équipe hyper serrée (dont sa femme de l’époque, Toba Metz, qui tenait les cordons de la bourse), il part tourner sur les hauteurs de Los Angeles. Réalisateur et co-auteur, Stanley s’occupe aussi de la production, de régler la lumière et assure le montage. Autant dire qu’on ne voit que lui au générique, et que le film est très personnel. Tout l’art de Kubrick, tant sur la forme que sur le fond, est d’ailleurs en germe dans la dérive de ces soldats perdus derrière les lignes ennemis. Mais écoutons plutôt notre cher Michel Ciment, dans le livre qu’il a consacré à Kubrick (édition Calmann-Lévy) : « Fear and Desire est une œuvre essentielle à notre compréhension du cinéaste, car elle révèle simultanément deux facettes du jeune Kubrick qui nous permettent de mesurer l’évolution de son regard et de ses stratégies : la vision d’un créateur d’images sûr de lui et prometteur, dont les thèmes (la guerre, l’incommunicabilité, la perte de contrôle…) et les obsessions (la hantise du grain de sable, le dédoublement, la mort et la renaissance…) sont déjà apparents et étonnamment proches de celles du maître à venir. On retrouve dans ce coup d’essai (…), cette manière si particulière de filmer le monde comme un échiquier, où les personnages ressemblent à des pièces mues par des forces inconnues, dans un décor à la fois concret et irréel. » On n’aurait pas dit mieux, et courrez voir l’enfance de l’art de Kubrick.
Rian Johnson a débuté sa filmographie avec le très atypique Brick, un premier film qu’il a, comme Kubrick, fait financer par sa famille. Le petit Johnson a grandit et se trouve, à presque 40 ans, à la tête de Looper, avec – excusez du peu – Joseph Gordon-Levitt, Emily Blunt et Bruce Willis. Au delà du casting prestigieux et impeccable, Johnson fait surtout d’une histoire en or – des mafias du futur envoient leurs indésirables se faire buter dans le passé – un film en béton, qui bascule quand le Looper Gordon-Lewitt doit flinguer son futur, incarné par Willis. Avec beaucoup d’habileté, de force et de malice, Rian signe là un thriller haletant dans un continuum temporel déglingué.
La réédition sur copie neuve du formidable Ace in The Hole, un Billy Wilder inattendu, nous avait inspiré un cycle sur ce grand de l’âge d’or. Après une semaine de pause, le cycle revient avec l’inévitable et jouissif Sept Ans de Réflexion, Ariane et Avanti, deux autres comédies de ce maître du genre. Mais nous le verrons aussi plus sombre comme dans La Garçonnière, réalisateur de polar, comme Témoin à Charge, filmeur hagiographe (L’Odyssée de Charles Lindbergh) ou casseur de mythes (La Vie Privée de Sherlock Holmes).
Terminons avec l’Enfance de l’Art qui ouvrait cette lettre et nous propose dimanche à 14h, l’épopée du baleinier Pequod à la poursuite de Moby Dick, filmée par John Huston. On a bien dit dimanche à 14h. Ne vous trompez pas de jour parce que samedi, à 14h aussi, c’est Killer Joe qui sera à l’affiche. Et ce n’est pas à proprement parler un film pour les enfants.
Bonne semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action