L’enchanteur.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
L’enchanteur du titre, c’est bien sûr Steven Spielberg, auquel nous consacrons un cycle pour accompagner la sortie de son dernier film, le Pont des Espions. Trois événements vont également enchanter notre semaine. Le premier se tiendra mercredi soir pour la projection-débat de Même un Oiseau a besoin de son Nid, documentaire passionnant sur les confiscations de terres au Cambodge. L’autre aura lieu vendredi dans le cadre du cyle Warhol Unlimited, avec Coffee and Cigarettes, un classique new yorkais de Jim Jarmusch. Et le troisième sera la présensation par Laurent Roth de son film Les Yeux Brûlés dimanche à 19h30. Par ailleurs, nos films des précédentes semaines – Joe Hill, L’Idiot, et Irrational Man – conservent quelques séances.
Après avoir été ravagé par une dictature meurtrière et ubuesque, le doux Cambodge compose aujourd’hui avec une autre violence, plus insidieuse. Usant de tous les moyens de pression, le gouvernement corrompu spolie les petits propriétaires pour donner leur terre à des industriels. C’est cette abjection que met en scène Même un Oiseau a besoin de son Nid, documentaire de Christine Chansou et Vincent Trintignant-Corneau, soutenu par Amnesty International. Les deux réalisateurs débattront avec la salle après la projection de mercredi 21h15.
Vendredi à 20h, nous retrouverons Sébastien Gokalp, co-commissaire de l’expo Warhol Unlimited, pour le cycle hebdomadaire éponyme. Sébastien nous présentera Coffee and Cigarettes, série de scènes inventées par Jim Jarmusch, où des personnes discutent en abusant de nicotine et de caféine, dressant ainsi un touchant portrait de la Grosse Pomme. A propos de Warhol, signalons la disparition d’une de ses muses, Holly Woodlawn. Célèbre transgenre, il/elle joua avec Joe Dallessandro dans le fameux Trash, et inspira à Lou Reed le premier couplet de Walk on the Wild Side : « Holly came from Miami FLA, hitch-hicked her way across the USA. Plucked her eyebrown on the way, shaved her leg and then he was a she ».
Comme celles de tous les enchanteurs, la vie de Steven Spielberg est émaillée de légendes. Enfant, il aurait appris le calcul en lisant le matricule tatoué sur le bras d’une de ses tantes et, adolescent, se serait introduit quotidiennement chez Universal pour squatter un bureau. Ce qui est sûr, c’est que ce jeune « nerd » réalisa son premier film à 11 ans, puis un ou plus par an jusqu’à ses débuts professionnels à 23 ans, en 1969 chez Universal, justement. Il dirigea quelques téléfilms puis, en 1971, le Duel d’une voiture et d’un camion, qualifié par François Truffaut de « premier film modèle ». Spielberg réinvente ensuite le blockbuster avec Les Dents de la Mer, en transformant une série B en succès planétaire. Storyteller hors pair et affublé d’un exceptionnel sens du cadre, il tourne quelques chefs d’œuvres de l’entertainment (E.T., Jurassic Park, A.I. Intelligence artificielle, Minority Report, Hook…), mais parvient toujours à leur donner un sens et à interroger le public. Il s’attaque aussi à des sujets plus graves, retraçant, parfois avec un peu d’emphase mais toujours avec sa propre musique, des histoires ou des vies qui lui semblent importantes. Ainsi, il a évoqué le racisme (La Couleur Pourpre), la guerre (L’Empire du Soleil, Cheval de Guerre), ou de grands hommes (Lincoln). Son dernier film est de cette veine, et confirme que Spielberg sait, quel que soit son sujet, inventer du spectacle.
le Pont des Espions nous amène sur celui de Glienicke, l’un des symboles de la Guerre Froide, où les deux blocs antagonistes s’échangeaient leurs agents. C’est là qu’un avocat doit récupérer un pilote américain, tout en livrant son client, un espion russe. Spielberg a su lire le scénario distancié écrit par les frères Coen, et donner à cette histoire compliquée une grande fluidité, non sans la ponctuer de quelques purs moments de bravoure. Tom Hanks est évidemment parfait, et la photo de Janusz Kaminski, chef-op attitré du réalisateur, réussit à faire cohabiter la froideur de la guerre et le vintage des années 60. Spielberg maîtrise totalement son récit comme sa mise en scène. Mais la pointe de candeur enfantine qu’il conserve au fond de lui et laisse émerger dans ses films, en fait un cinéaste particulier, qui comptera dans l’histoire de cet art. Mais y a t-il encore quelqu’un pour en douter ?
Concluons avec les dernières séances de Joe Hill, le clochard céleste de Bo Widerberg, L’Idiot, le sauveur naïf de Yuri Bykov, Les Yeux Brûlés, de Laurent Roth, Irrational Man, de Woody Allen. Et, dans un tout autre genre, avec Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles, de Bon Bluth, présenté par l’Enfance de l’Art.
Bonne semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy
et l’équipe du Grand A