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L'Édito

Lacan et l’encan.

L'Édito

Lacan et l’encan.

Chères spectatrices, chers spectateurs,
Notre programme de la semaine conserve les points forts de la dernière : The Canyons thriller pervers de Paul Schrader, et The Grand Budapest Hotel, fantaisie virevoltante de Wes Anderson, rejoint par son cycle que nous avions quelque peu délaissé. Mais d’autres projections vont venir perturber – pour notre plus grand bonheur – ce bel équilibre. D’abord, il y en aura une dimanche pour Le Loup de Wall Street, le portrait déjanté d’un broker par Scorsese, et une chaque soir à 21h50 pour L’Étrange Couleur des Larmes de ton Corps. Ce beau titre cache un thriller fantastique très graphique, signé du duo français Hélène Cattet et Bruno Forzani, déjà repéré pour Amer. Enfin, et il est temps de justifier le calembour qui chapote cette lettre, deux événements vont marquer cette semaine. Jeudi soir à partir de 18h30, les collectionneurs se retrouveront dans nos salles pour enchérir, afin de rafler les affiches – dont certaines assez rares – que nous proposerons lors d’une vente à l’encan. Venez jeter un œil au catalogue. C’est tentant.

Le lendemain, des héritiers de Lacan prendront part à une soirée débat cinéma et psychanalyse autour de la voix, cet obscur objet du cinéma. Voyons cela…

Vendredi soir à 21h, lors d’une master class, Clotilde Leguil, philosophe et psychanalyste, décryptera avec son regard pointu quelques scènes cultes du cinéma, notamment sous le prisme de la voix. Dans son enseignement, le grand Jacques Lacan définissait la voix, d’une part, comme un objet causant un désir et, d’autre part, répondant à ce qui se dit, mais ne pouvant en répondre au titre d’une garantie quant à la vérité : « elle s’éprouve, elle se renvoie seulement par ses échos dans le réel.» Bon. Nul doute que le débat de haut niveau devrait passionner, d’une part, les cinéphiles qui sont toujours ravis de voir des extraits de films et, d’autre part, les analystes et les analysants. Et ça, nous pouvons en répondre car Clotilde est absolument passionnante.

Il y aurait sans doute une lecture psychanalytique à faire de L’Étrange Couleur des Larmes de ton Corps, dernier film d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Ce duo de réalisateurs poursuit son chemin, loin des sentiers battus de la production classique. Mais ils composent une œuvre plastiquement bouleversante et aussi radicale que celle d’un Jeunet ou d’un Anderson. Sauf qu’il puisent leur influence du côté du Giallo, un courant littéraire et cinématographique italien qui mêle le fantastique, l’horreur parfois, le mystère et l’érotisme. Mario Bava et Dario Argento sont les plus célèbres représentants de cette école qui rend hommage à Poe, Hitchcock, et bon nombre d’auteurs de polars américain, comme Chandler. L’Étrange Couleur est donc un film étrange, où une femme disparaît mystérieusement. C’est vraiment un film que nous tenions à vous faire découvrir.

Quand un grand scénariste – Paul Schrader – adapte un immense auteur tordu – Bret Easton Ellis – et tourne avec une ex-égérie Disney passé par toutes les défonces – Lindsay Lohan – et un ex-acteur de porno – James Deen – on peut s’attendre à un film qui décoiffe. De fait, The Canyons just do it“. Drôle d’histoire de manipulation, de sexe, de pouvoir, le tout dans le milieu frelaté du cinéma hollywoodien de série B. Un monde aussi déglingué que les salles que Schrader nous montre en ouverture de son film.

Et puis sinon, il y a Wes Anderson, dont le cycle accompagne The Grand Budapest Hotel, ballet d’enquêtes et de courses poursuites dans un palace fantaisiste de la Mitteleuropa des années 30. C’est Ralph Fiennes, concierge zélé et aérien, qui a les clés de l’hôtel et de l’histoire que raconte son ancien groom. Lui et ses comparses comédiens, tous membres de la bande à Wes, se régalent dans ce film d’une virtuosité maîtrisée, et le spectateur avec. Pour mieux comprendre l’incomparable style Anderson, délicat mais vivace mélange de souvenirs inventés, de symétries imparables, de décalages contrôlés, de rebonds improbables et de travellings millimétrés, six films retracent sa jeune mais prolifique carrière. Qui débute (presque) avec Rushmore, où Jason Schwarzman est un anti-élève d’une école d’élite, se poursuit avec l’étrange la Famille Tenenbaum menée par Gene Hackman, se jette à l’eau avec La Vie Aquatique, une drôle d’expédition océanographique pilotée par Bill Murray, prend le train en Inde avec trois frères paumés A Bord du Darjeeling Limited, passe par l’animation, avec les rusés renards de Fantastic Mister Fox, et, avant de prendre la direction de l’Europe Centrale de Zweig et Lubitsch pour The Grand Budapest Hotel, avait fait un détour par le camp scout de Moonrise Kingdom, au cœur de la Nouvelle Angleterre des 60’s.

Terminons en redisant que Le Loup de Wall Street conserve une séance, et en retrouvant l’Enfance de l’Art qui revient après deux semaines d’absence, mais avec du bon boulot puisque qu’elle nous propose Charlot et ses Jobs.
Bonne semaine.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action.