Je suis…
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Je ne suis qu’une modeste lettre hebdomadaire d’un cinéma indépendant, mais je suis aussi, bien sûr, Charlie, policier, juif, et même agent d’entretien puisque l’un d’entre eux fut la première victime de ces sinistres crétins qui m’ont plongé dans l’horreur et le deuil. Je suis également cet employé musulman qui a sauvé des clients de l’hyper-kascher, cette jeune fille voilée qui disait « pas en mon nom », ce groupe de femmes ivoiriennes portant une pancarte « je suis juif », cette famille catholique qui proclamait à l’unisson « être Charlie », ce gaucho-anar qui applaudissait les flics, ces gamins rebelles qui chantaient la Marseillaise. Je suis, et nous sommes tous, cette foule immense, calme, rassurante, déterminée, belle, qui a permis de clore cette immonde semaine par un moment de grâce. Et même par quelques rires. Ils sont le propre de l’homme, et les cons qui l’ignorent doivent être exclus de notre famille humaine, même s’ils doivent venger un prophète, miséricordieux dit-on.
Bon. On va quand même parler un peu de cinéma parce que la vie ne doit surtout pas s’arrêter. L’événement de la semaine sera gai et pétillant. Tant mieux. Le Cinéma-Club a convoqué Chantons sous la Pluie de Gene Kelly et Stanley Donen, pour une séance qu’animera et présentera le pianiste Jacques Cambra et qui sera suivie d’un cocktail. Nous serons aussi avec Herzog bien sûr, toujours au sommet avec ses Ascensions et son cycle, avec Whiplash, encore récompensé, et aussi avec un film tout sauf consensuel : The Smell of us, de Larry Clark.
The Smell of us, donc, sort cette semaine au Grand Action. Le dernier film de Larry Clark, immense photographe venu tardivement à l’image animé, explore le même terrain que ses précédents : la jeunesse, et particulièrement celle qui fait du skate. Pour The Smell of us, Clark quitte les USA pour poser sa caméra à Paris, dans le quartier du Trocadéro, et suivre les errements d’adolescents encore plus déglingués et largués que leurs homologues américains. Par petites touches, en choisissant ses cadres, en mixant les supports, en laissant parfois traîner en longueur des moments dérangeants, il dresse le portrait éclaté d’une jeunesse sans repère, comme pour la prévenir des dangers adultes qu’il incarne parfois à l’écran. Dire que The Smell of us a eu un accueil mitigé est un euphémisme. Rejeté de certains festivals, honni par une partie de la presse, d’aucuns allèrent jusqu’à traiter Clark de vieillard sénile, et adulé par une autre partie, dont Les Cahiers du Cinéma qui lui consacrent 32 pages et leur couverture, le film est précédé d’un parfum de scandale. Nul doute d’ailleurs que quelques moments choqueront certains spectateurs qui, espérons-le, n’iront pas abattre ce pauvre Clark. Rappelons d’ailleurs que Kids, son premier film de 1995 (que nous reprojetterons prochainement avec ses autres œuvres) fut violement attaqué. On peut ne pas aimer The Smell of us, mais on doit reconnaître une façon unique de filmer le beauté des corps, même des plus décatis ; une manière aussi de se livrer, sans retenu, sans filtre, au regard du monde, de montrer la vieillesse, la violence, le sexe avec une terrible crudité plastiquement impeccable. La photographie est une école de la rigueur. Une leçon que Clark a retenue pour signer son film sans doute le plus personnel. La séance de jeudi à 19h45 se fera en présence de l’équipe du film.
JK Simmons, le tyrannique professeur de musique de Whiplash, vient de glaner un Golden Globe pour son interprétation, et ajoute une nouvelle médaille au revers du film du jeune Damien Chazelle, déjà remarqué à Sundance et Deauville. Maîtrisé et monté avec le sens du rythme que Chazelle a appris en faisant de la musique, Whiplash est l’exemple même de la vitalité du cinéma indépendant américain. A découvrir car le monde allant vite, le film risque de disparaître de l’affiche sans que vous l’ayez vu. Ce qui serait dommage.
Werner Herzog aussi va bientôt quitter nos écrans pour partir vers d’autres aventures. Le cycle que nous lui consacrons est un peu réduit cette semaine, mais propose encore plus de 20 films, fictions et documentaires, de ce prolifique maître. Une partie donc de son immense filmographie, toujours emmenée par Les Ascensions, un programme de deux docs, où Werner explore un volcan guadeloupéen et un sommet himalayen.
Concluons avec les interventions façon GIGN burlesque des Ghostbusters de SOS Fantômes, réjouissante pochade d’Ivan Reitman, que nous propose l’Enfance de l’Art.
Et puis l’information crépusculaire qui nous a obnubilés ces derniers jours vous a peut-être fait rater les disparitions du grand Francesco Rosi et d’Anita Ekberg. Elle devint célèbre en se baignant dans la fontaine de Trévise, et ça ne plaisait déjà pas aux puritains.
Meilleure semaine que la dernière.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action