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L'Édito

Idioties.

L'Édito

Idioties.

Chères spectatrices, chers spectateurs,

Avec L’Idiot, film russe kafkaïen de Yuri Bykov proposé par Ciné-Ma-Russie, et la réédition du très beau Joe Hill, de Bo Widerberg, héros prolétaire condamné à mort par une idiote justice américaine, nous avions quoi faire. Mais avant de vous parler aussi de Scorpio Rising, de Kenneth Anger, présenté dans le cadre du cycle Warhol Unlimited, et du reste de notre programme (notamment Les Yeux Brûlés et Irrational Man), nous ne pouvons pas ne pas évoquer d’autres idiots.

Ils étaient huit au moins, mais sans doute plus, décérébrés, illuminés, manipulés par d’autres, moins idiots peut-être, mais encore plus sinistres. Huit cinglés décidés à tuer et à mourir pour imposer l’interprétation stupide d’une religion pourtant capable de prêcher la paix. Huit qui semèrent la terreur en ce triste vendredi 13. Leurs victimes se livraient à des plaisirs qui leur étaient interdits. Elles riaient, écoutaient de la musique, dansaient, buvaient, discutaient, fumaient, se marraient, draguaient. Nos pensées vont évidemment vers elles, et la douleur de leurs proches. Ces personnes pensaient aussi ; avec leur tête à elle, et pas avec le logiciel vérolé qu’on avait inclus dans le cerveau mal formé des tueurs. Ces idiots. Et s’il fallait une preuve supplémentaire de leur stupidité, pour arriver, à trois kamikazes, à ne tuer qu’un seul malheureux au milieu de 100 000 personnes dans un stade foot, faut vraiment être cons. Alors, n’ayons pas peur, on les aura.

Quand on dit Idiot et russe, on pense évidemment au formidable prince Mychkine. Mais L’Idiot de Yuri Bykov ne fait que s’inspirer du héros dostoïevskien pour constater la terrible impuissance des gentils face à la force des méchants. Cet Idiot là est un petit plombier qui, découvrant d’énormes fissures dans un immeuble, pense que l’édifice va s’effondrer. Lanceur d’alerte, il veut sauver les 800 habitants de cette bâtisse déshéritée, pour la plupart alcooliques, défoncés, violents ou corrompus. Comme celles de Mychkine, ses illusions se briseront sur les rochers de la cruauté du monde. Jeudi à 20h, Claude-Evrard Tchekhoff, distributeur du film, nous présentera cette exclusivité et nous suivra au cocktail. L’Idiot sera également projeté tous les jours à 14h.

C’est à un autre distributeur, Malavida, que nous devons la ressortie de Joe Hill. Mercredi à 19h, il viendra, peut-être accompagné de Thommy Berggren, interprète principal, nous parler de cette belle réédition. Signalons aussi que la séance de samedi 18h45 sera suivie d’un débat avec Sandrine Ageorges-Skinner, administratrice d’Ensemble Contre la Peine de Mort. Car Joe Hill, né Joel Haaglung en 1879 en Suède, fut fusillé en 1915 dans une prison de l’Utah, pour un meurtre qu’il n’avait probablement pas commis. Entre ces deux dates, il émigra aux USA, connut la misère, fit la route, exerça 1000 métiers, chanta la révolution et s’engagea dans le syndicalisme radical des IWW. En 1971, le réalisateur suédois Bo Widerberg porte à l’écran la vie de Joe Hill, rendu célèbre par une folk song de Joan Baez. Le magnétique Thommy Berggren incarne cette icône prolétarienne dans un film haut en couleur. On peut penser à Il Etait une Fois en Amérique pour la peinture de New York en 1900, à Bertha Boxcar pour les trajets ferroviaires et l’insoumission, et à Sur la Route de Kerouac pour la liberté de penser. Une vision de l’Amérique naissante, et un plaidoyer pour la justice.

On n’a pas souvent l’occasion de voir Scorpio Rising, mythique moyen-métrage du cinéaste expérimental Kenneth Anger. Vendredi à 20h, le cycle Warhol Unlimited, animé par Sébastien Gokalp, co-commissaire de l’exposition du Musée d’Art Moderne, et Emmanuel Lefrant, de l’association Light Cone, nous propose de vivre ces 31 minutes radicalement underground, avec des motards, des forces occultes, des nazis et des catholiques. Difficile de vraiment raconter l’histoire de Scorpio Rising, mais c’est une vraie expérience. Elle sera précédée de 4 courts-métrages issues de la Factory Warholienne. On ne les a pas vus, mais on ne serait pas surpris qu’ils soient surprenants. 

En l’absence d’Enfance de l’Art dominical, concluons avec Les Yeux Brûlés, étonnant film sur les reporters de guerre de réalisé par Laurent Roth en 1986, et Irrational Man, le dernier Woody Allen, toujours brillant.

Bonne semaine. Et rappelez-vous : on les aura.

Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action