Herzog über Alles.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Quel est le plus beau cadeau à faire à un réalisateur ? Lui offrir un cinéma tout entier dédié à son œuvre. C’est le Noël que nous organisons pour Werner Herzog et aussi pour vous, cher public, qui êtes nombreux à plébisciter notre cycle Herzog. Cycle qui s’enrichit cette semaine de cinq nouveaux films, et qui accompagne la réédition de deux documentaires restaurés sur ses intrépides Ascensions. Ainsi, on le verra dans sa visite surréaliste de Basse-Terre, ville guadeloupéenne abandonnée par la crainte de l’éruption du volcan de La Soufrière, puis nous le suivrons sur les traces de deux alpinistes de l’extrême, partis à l’assaut du pic himalayen du Gasherbrum.
Débutée très jeune, la carrière d’Herzog prit vite son envol grâce à l’Ours d’Argent que remporta à Berlin son premier film, Signes de Vie, réalisé alors qu’il n’avait que 26 ans. Les suivants, Les Nains aussi ont Commencé Petits, Fata Morgana et Aguirre, sont tous trois présentés à Cannes, lors de la Quinzaine des Réalisateurs. Ce qui permet au cinéaste d’à peine 30 ans, d’entrer au panthéon de l’internationale cinéphilique. Pourtant, il n’a déjà pas peur de déranger, en provoquant, en mêlant fiction et documentaire, en instaurant un rapport cinglé avec son double à l’image – Klaus Kinski – et en prenant des risques insensés sur les plateaux. On raconte que plusieurs membres de l’équipe d’Aguirre échappèrent de peu à la noyade et que les Indiens proposèrent à Herzog de tuer Kinski lors du tournage de Fitzcarraldo. Il refusa. Il serait toutefois injuste et idiot de résumer le monde de Herzog à ces futiles anecdotes. Car ce grand bonhomme a construit une œuvre cohérente, stupéfiante de richesse et de variété, abordant sans cesse de nouveaux thèmes, refusant toute barrière, tout à priori et toute limite, pour ne suivre que son instinct, entièrement tendu vers ce qu’il nomme lui-même « la vérité extatique ».
Outre Les Ascensions, titre de la séance double qui regroupe La Soufrière et Gasherbrum, la Montagne Lumineuse, dont nous avons déjà longuement parlées et qui ont lancé notre programme, nous aimerions insister sur les cinq nouveaux venus de ce cycle Herzog, lors duquel vous pourrez retrouver les films des précédentes semaines. Parmi ces cinq-là, deux fictions et trois documentaires, deux types de narrations qu’affectionne le réalisateur, considérant d’ailleurs que la frontière entre les deux est ténue. Côté fiction, Nosferatu, une relecture en forme d’hommage au mythe de Murnau. Herzog donne une plus grande humanité au vampire, personnage solitaire et tragique interprété avec grandiloquence par Kinski, bien entouré par quelques pointures (Isabelle Adjani, Bruno Ganz, Roland Topor…). Bad Lieutenant, Escale à la Nouvelle Orléans, n’est ni un remake ni une suite du film de Ferrara. Nic Cage y tient le rôle titre, celui d’un flic désabusé, blessé et défoncé aux médicaments pour tenir. Mais c’est à Frankie, une jeune prostituée (Eva Mendes), à laquelle il tient le plus. Pour elle, il prendra tous les risques. Dans la rubrique documentaire, nous verrons Grizzli Man, une enquête sur Timothy Traedwell, dont c’était le surnom. L’homme passa 13 ans au milieu de ces grands ours, avant de se faire dévorer par ses ingrats amis à poils. Couronnée au Festival de Dublin, La Grotte des Rêves Perdus nous propose une sublime visite, en relief s’il vous plaît, de la grotte Chauvet. Découverte en 1994, classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco mais interdite au public, cette aven ardéchoise recèle plusieurs centaines de dessins gravés à l’Aurignacien et au Gravettien, soit entre 35 et 25 000 ans. Un film tellement beau qu’il faut vraiment le voir assis. Pour prouver l’éclectisme d’Herzog, le troisième documentaire nous entraîne dans d’autres profondeurs : celles de l’âme humaine. Dans Into the Abyss, il interviewe les familles de victimes et les accusés d’un abominable triple meurtre texan. Glaçant.
Parmi la trentaine de films visibles cette semaine au Grand Action, un seul n’est pas signé Herzog. Il faut dire que l’Enfance de l’Art aurait eu du mal à trouver quelque chose pour les enfants dans sa filmographie. Alors elle a préféré appeler l’animation japonaise à la rescousse, en l’occurrence le merveilleux Conte de la Princesse Kaguya, d’Isao Takahata.
Bonne semaine, en attendant la prochaine où nous fêterons Noël devant Whiplash, le film du jeune Damien Chazelle que les festivals indépendants et la presse saluent unanimement.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action.