Dans un grand hôtel parisien, un homme, vaguement dépressif, voit débarquer sa girl-friend avec laquelle il a une relation complexe et charnelle. Fin de la première partie, un court-métrage déjà déroutant, rythmé par une étrange rengaine-hommage à la ville lumière. Nous retrouvons le dépressif dans un train en Inde, en compagnie de ses deux frères : l’un, leader contesté de la fratrie, est défiguré par un accident de moto, l’autre, fragile mais élégant, s’apprête à devenir père dans la douleur. Car la paternité n’est manifestement pas chose aisée dans cette famille encore troublée par la disparition du géniteur, figure que l’on imagine tutélaire et qui a transmis à ses fils d’improbables et encombrantes valises, au propre comme au figuré. L’objectif avoué de ce trip initiatique, supervisé par l’aîné, est de recréer le lien entre les frères et de retrouver leur mère, retirée dans un couvent indien. Mais ce voyage les conduira d’abord vers eux-mêmes, en les débarrassant de leurs valises.
Wes Anderson est un jeune homme élégant qui accorde un grand soin à l’apparence. Ici les trois frères, dans leur costume de belle facture, sont en rupture visuelle (et culturelle) parmi les Indiens en sari. Mais n’allez pas croire qu’Anderson ne s’attache qu’à la surface. Son obsession, c’est la famille. Film après film, il s’amuse à en inventer de plus curieuses les unes que les autres. Les trois fils Whitman sont aussi chics et déroutants que leur auteur, et leur mère – formidable Anjelica Huston – est inattendue… comme un personnage d’Anderson. Car c’est bien l’inventivité, en dehors des conventions habituelles, qui conduit le Darjeeling Limited. Œuvre libre, attachante, esthétique, touchante, le Darjeeling Limited filme à hauteur d’âme, sans donner toutes les clés de la compréhension. Au contraire, la caméra, fluide et légère, invente des arabesques pour faire sentir plutôt qu’expliquer. Citons le court-métrage d’ouverture qui trouve sa justification à la fin du film, ou bien le beau travelling imaginaire où défile tout le petit monde des trois frères. Parfois un peu largué, comme les personnages, le spectateur prend un grand plaisir à participer à ce périple et à suivre la bande d’Anderson (Owen Wilson, Jason Schwartzman, Bill Murray, qui fait une petite apparition, tout comme Nathalie Portman), dans laquelle Adrien Brody et Amara Karan font une entrée remarquée. Et en plus, ça donne drôlement envie d’aller en Inde ! Bon voyage.
Bernard-Pierre Molin