Deux maîtres.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Voilà un titre qui s’impose à notre programme de la semaine. Le premier est un maître contemporain, qui vient encore de sortir une bombe cinématographique. Nous poursuivons donc notre Cycle Martin Scorsese, qui remet en perspective son Le Loup de Wall Street, dont le succès ne se dément pas. Nul doute que Scorsese (s’il l’apprend en lisant notre lettre hebdomadaire) sera flatté de partager l’affiche avec l’un de ses inspirateurs, qui inspire d’ailleurs la plupart des cinéastes modernes. Le Cycle Howard Hawks rend hommage à un immense monsieur, qui toucha à tous les genres, de la comédie au polar en passant par le western, dans la plus pure tradition des grands studios, dont il sut contourner la tutelle pour faire entendre sa propre musique. La phrase est longue, mais elle est juste.
Gloire aux ainés et commençons donc par Howard Hawks (1896-1977). Après avoir été pilote d’avions puis de voitures, Hawks est entré par la petite porte dans le monde magique du cinéma ; comme d’ailleurs la plupart des pionniers. D’accessoiriste, il devint producteur indépendant avant de prendre le poste de Directeur des scénarios à la Paramount qui le conduira à être engagé comme metteur en scène à la Fox. Fort de ces multiples expériences, il sera l’un des premiers auteurs de films, capable (et surtout revendiquant) de maîtriser toute la chaîne de production. S’il fit ses armes au temps du muet, c’est sous le règne du parlant que Hawks, le faucon (Hawks au pluriel en anglais, précision pour les germanophones) qui filmait « à hauteur d’homme », que Hawks donc, laissa éclater son talent protéiforme. Pour lui, la netteté du récit et le rythme de la mise en scène comptent plus que le genre, qui n’est finalement qu’une question de point de vue. Ainsi, il passera de l’un à l’autre avec la même virtuosité, marquant chacun de son empreinte pour en faire un « classique » du genre. Nous ne vous proposons pas Scarface, modèle du film de gangsters, mais Brumes est une œuvre qui compte dans le cinéma d’aviation (il en fera d’autres). De même, L’impossible Monsieur Bébé ou La Dame du Vendredi sont deux symboles de la comédie où les mots rebondissent comme des balles vocales (screwball), Chérie je me sens rajeunir et Le Sport Favori de l’Homme pourraient servir de bases d’étude pour qui voudrait étudier la mécanique de la comédie, et La Chose d’un Autre Monde inspirera le cinéma fantastique (Carpenter notamment avec The Thing). Sergent York est un archétype du héros en temps de guerre, Le Port de l’angoisse pose les fondements du film d’aventure, ou, plus probant encore, Le Grand Sommeil, qui est l’emblème absolu du film noir (bien qu’il en soit une forme perverse de parodie). Notons pour ceux qui ont vu plus de 47 fois ce chef d’œuvre, que nous le projetons dans une version inédite de 1945, récemment retrouvée dans un coffre de la Warner. Quant aux westerns de Hawks – La Rivière Rouge, La Captive aux Yeux Clairs, Rio Bravo, El Dorado – et tant pis si John Ford nous en veut, ils ont leur place, et au premier rang, au panthéon filmique du Grand Ouest.
Passons donc à notre second maître qui, à l’image de son nouveau pygmalion, ne cesse de nous surprendre. Leonardo DiCaprio est stupéfiant (on l’a peut-être déjà faite celle là) en Loup de Wall Street. Inspiré de l’histoire vraie d’un vrai broker – et authentique escroc – ce nouvel opus de Scorsese est une attaque au bazooka (mais avec pêche et élégance) du monde pourri de la finance. De rails de coke sniffés à même la fesse des prostituées convoquées pour le repos des guerriers veules et cupides, aux grands messes ridiculement grandiloquentes pour mobiliser les troupes dénuées de sens et de morale, en passant par les monceaux de dollars extorqués à des gueux pour que des petits marquis jamais rassasiés ne s’éclatent dans l’obscénité, rien ne nous est épargné. Jusqu’à l’écœurement et c’est là la force du film. Scorsese est un génie qui sait donner une forme au fond, et il le prouve une fois encore. Et si vous en doutiez, revenez donc voir certains des films marquants qui sont au programme du cycle que nous lui consacrons. Remontons aux sources avec Who’s that Knocking at my Door, son premier long métrage indépendant, puis passons par Bertha Boxcar, son entrée dans le monde du film « produit », puis cherchons Alice n’est Plus ici pour entrer dans la maturité avec Raging Bull, La Valse des Pantins, Les Affranchis, A Tombeau Ouvert et Les Infiltrés.
Et l’Enfance de l’Art dans tout ça ? Sa séance de dimanche nous propose Sidewalk Stories, de Charles Lane, une touchante histoire new yorkaise.
Bonne semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy
et l’équipe du Grand Action