Scroll down
L'Édito

De l’influence des rayons gamma sur les marguerites, de celle des canons de 20mm sur les cambriolages, et de celle des nouveaux réalisateurs sur le cinéma américain.

L'Édito

De l’influence des rayons gamma sur les marguerites, de celle des canons de 20mm sur les cambriolages, et de celle des nouveaux réalisateurs sur le cinéma américain.

Chères spectatrices, chers spectateurs, En France, la Nouvelle Vague des années 60 avait soudainement vieilli le cinéma de papa. Une fois n’étant pas coutume, les Etats-Unis, sensés avoir toujours un peu d’avance sur la vieille Europe, durent attendre une décennie de plus pour qu’une génération de cinéastes sortent des habitudes et du savoir-faire pourtant éprouvé des grands studios hollywoodiens. Nous avons récemment projeté des films de ce contre-cinéma américain qui, né au milieu des 60’s, s’épanouit dans la décennie suivante. Cette semaine, nous consacrons nos deux salles à deux tendances de cette époque, fort différentes, mais liées par une même et nouvelle liberté de ton. A ma droite (façon de parler), un film intimiste au titre alambiqué, signé en 1972 par Paul Newman, qui était alors un acteur-star : De l’Influence des Rayons Gamma sur le Comportement des Marguerites. A ma gauche, Thunderbold and Lightfoot (Le Canardeur), un film de gangster et de casse, produit et interprété par une valeur montante de l’époque (Clint Eastwood) et dirigé par un futur grand qui réalisait son premier long métrage : Michael Cimino. Voici donc deux prototypes du cinéma des 70’s, le tout sur copie neuve. Nous connaissons Paul Newman, décédé en 2008, grâce à la guerre. Blessé, il dut renoncer au sport et se consacra au théâtre. Il ne lui fallut alors que peu de temps pour devenir une star. Au début années 60, ses yeux bleus, le Gaucher, Exodus, l’Arnaqueur et Tennessee Williams lui avaient permis de grimper en haut de l’affiche. Il put donc, tout en continuant à faire l’acteur, passer à la réalisation. Pour choisir son actrice de prédilection, Paul ne fit pas de long casting et engagea son épouse. Joanne Woodward fut la vedette de son premier film (Rachel, Rachel) et il prétendit qu’il avait acheté les droits de la pièce de Paul Zindel De l’Influence des Rayons Gamma sur le Comportement des Marguerites pour offrir à Joanne un rôle digne de son talent. Elle lui rendit cette offrande au centuple en décrochant la Palme d’Interprétation Cannoise en 1972. Joanne Woodmard incarne Beatrice, une quadra larguée, veuve, sans grande ressource et mère de deux adolescentes. Si l’ainée est extravertie, bien qu’épileptique, la cadette est une timide enfant blonde, qui réfugie son mal être auprès d’un lapin blanc que sa mère déteste, et d’un professeur qui l’initie à l’expérimentation scientifique. D’où le titre. Ce film célèbre et pourtant peu vu révèle un cinéaste dans la lignée (allez, on le dit, et on n’est pas les seuls) d’un Cassavetes. La caméra de Newman flotte et s’éternise sur les visages : celui de Béatrice essayant des perruques ridicules, celui de la vieille femme qu’elle héberge, celui de la petite et son regard perdu et déterminé. La mise en scène prend son temps et le rend fluide. Le film n’excède d’ailleurs pas l’heure quarante standard. Mais, pendant cette heure quarante, on entre dans une intimité, on partage un malaise, on souffre avec les personnages et on apprend l’influence d’éléments étranges sur la poésie de l’enfance. Ne vous trompez pas de salle, car, à la place de ce film intimiste, vous tomberiez alors sur Thunderbold and Lightfoot, alias Eastwood et Bridges. Le Canardeur, le tout premier Cimino, poursuit donc sa carrière au Grand Action. Le titre français ne reflète que partiellement la véritable nature de ce film où ça défouraille certes copieusement, mais ce n’est là qu’un prétexte. Le vrai sujet, c’est l’amitié de deux contraires – le professionnel du casse et le jeune chien fou libertaire – qui vont apprendre à se connaître et à s’aimer. Si Eastwood fait ce qu’il sait faire (et Dieu sait qu’il le fait bien), Jeff Bridges est une révélation. Il est vraiment impressionnant dans les dernières scènes et fait subrepticement surgir toute l’humanité que le Canardeur s’évertuait à cacher. On sait la carrière que firent par la suite les acteurs et le réalisateur. Clint est aujourd’hui une légende vivante, Cimino fut capable de faire vibrer et d’ébranler Hollywood, et Bridges incarna, entre autres, le mythique Dude du Big Lebowski. Alors remonter aux sources du talent avec Thunderbold and Lightfoot. Pour une fois, nous n’expédierons pas l’Enfance de l’Art qui a l’excellente idée de programmer Peau d’Ane, de Jacques Demy. Alors finissons en chanson. « La situation mérite attention. Mon enfant, on n’épouse jamais ses parents. Vous aimez votre père, je comprends. Quelles que soient vos raisons, quels que soient pour lui vos sentiments. Mon enfant, on n’épouse pas plus sa maman. On dit que traditionnellement, des questions de culture et de législature décidèrent en leur temps, qu’on ne marierait pas les filles avec leur papa. » Freud n’aurait pas dit mieux. Belle semaine. Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action