Christmas Whiplash
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Au pied du sapin, ou plutôt dans la salle pano du Grand Action, nous vous offrons un nouveau et formidable film musical, qui marque sans doute l’acte de naissance d’un futur grand réalisateur. Whiplash, le dernier film de Damien Chazelle, a été salué par les festivals indépendants et la presse. Mais le jeune héros du film, qui rêve de devenir le plus grand batteur de jazz de tous les temps, laisse une place encore importante au cycle Herzog, emmené par son duo d’Ascensions.
Grand Prix du Jury et Prix du Public à Sundance et à Deauville, Prix des Lectrices Elle, et une presse dithyrambique…. Pas mal pour un (presque) premier film, puisque Damien Chazelle en a déjà un à son actif : Guy and Madeline on a Park Bench, inédit en France à ce jour, mais ça pourrait ne pas durer… Avec son deuxième essai, Whiplash, le garçon fait un carton plein, même s’il dut passer par une version court-métrage de son long pour convaincre les financiers. Whiplash, c’est un air de jazz, faux classique composé par Justin Hurwitz, qui signe la formidable bande originale du film. Ce sont sur ces quelques notes et cet exigeant tempo qu’Andrew (Miles Teller, impeccable), jeune batteur doué et ambitieux, va s’escrimer, souffrir et tout sacrifier pour satisfaire le tyrannique Fletcher, chef de l’orchestre phare d’une école de musique réputée : « la meilleure de New York, donc la meilleure du monde ». C’est JK. Simmons, raideur de sergent instructeur et muscles noueux, qui interprète Fletcher. Et si l’on fait une référence militaire, c’est qu’il n’est pas sans évoquer le formateur-bourreau des recrus de Full Metal Jacket.
De fait, Damien Chazelle, lui-même batteur de bon niveau, ne voulait pas filmer la joie que procure la musique, comme on la voit souvent au cinéma. Son expérience dans un orchestre de jazz lui procura plus de peur et de mal que de plaisir. Peur de rater une mesure, de mal jouer, d’être à contretemps, ou encore de laisser filer le tempo. Avec le risque de voir un autre batteur prendre place sur le tabouret qui trône devant les toms et les cymbales et, d’un coup de baguette, prendre le pas sur le temps des autres instruments.
Convaincu que l’excellence passe par la violence – à l’image de Charly Parker qui, s’il ne s’était fait maltraiter à ses débuts, ne serait jamais devenu Bird – Fletcher instaure un jeu cruel avec Andrew. Voir la terrible scène où il fait se succéder les trois prétendants au tabouret, les interrompant à la moindre imperceptible faute. C’est bien une bataille que se livre ce petit monde, à coup de contrepoints et de doubles-croches. D’ailleurs, Chazelle fait références aux films de guerre ou de gangsters lorsqu’il parle de Whiplash. Qui sortira vivant du monstrueux duel entre le maître et son élève ? Réponse en 1h45 de grand cinéma, dès ce mercredi au Grand Action.
Pas facile pour Chazelle de passer après Herzog. Pourtant les deux ont en commun d’avoir très tôt convaincu la cinéphilie de leur talent. Damien n’a pas 30 ans, et fait presque attardé face à Werner qui, au même âge, avait déjà glané un Ours d’Argent (Signes de Vie) et présenté trois films sur la Croisette (Les Nains aussi ont commencé petits, Fata Morgana et Aguirre). Ce sont donc deux surdoués que l’on suit cette semaine au Grand Action, le second ayant une filmographie longue comme le bras qu’évoque notre cycle Werner Herzog. Emmenés par les Ascensions, un programme de deux documentaires abrupts et montagneux (La Soufrière, en Guadeloupe et Gasherbrum, dans l’himalaya), les films du cycle évoquent toutes les facettes de l’œuvre « kolossal » d’Herzog. Entre fictions (Nosferatu, vampirisé par le magnétique Kinski, Bad Lieutenant, Escale à la Nouvelle Orléans, où se démène le flic Nic Cage) et documentaires (Grizzly Man, sur les traces d’un ex-ami des ours, La Grotte des Rêves Perdus, un voyage de 30 000 ans et Into the Abyss, une plongée dans le crime), le cycle retrace le parcours et la recherche, non du temps perdu, mais de la vérité extatique qui anime son auteur.
C’est notre ciné-club Louis-Lumière qui ouvrira le bal des événements 2015 avec Agnès Godard qui viendra le mardi 6 janvier nous parler de son travail sur Wild Side de Sébastien Lifshitz. Nous aurons le plaisir de découvrir en première partie de soirée Voici l’enchaînement, court-métrage réalisé courant 2014 par Claire Denis et bien-sûr éclairé par Agnès. Dans Wild Side , Stéphanie, jeune transsexuelle partage son lit avec Mikhail et Djamel. Réalisateur du documentaire Les Invisibles (primé aux Césars 2013), Sébastien Lifshitz met en image l’amour entre homosexuels, transsexuels et tisse une vision très personnelle de leur rapport à la société. Dans ces deux films, très différents par leur support et la manière dont ils s’ancrent dans le réel, Agnès Godard parvient à faire parler les corps par la manière dont elle les cadre et les anime avec sa lumière.
Dans un registre très différent, l’Enfance de l’Art nous propose la magie de deux films d’animation, un japonais le dimanche 28 décembre, Le Conte de la Princesse Kaguya, d’Isao Takahata, et un américain le dimanche 4 janvier, Alice au Pays des Merveilles, co-réalisé par Luske, Jackson et Geromini.
Bon Noël.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action