Bass en haut de l’affiche.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Saul Bass, mythique graphiste du cinéma et réalisateur d’un unique long-métrage, Phase IV, naturellement devenu culte et réédité sur copie neuve, est la vedette de la semaine avec l’arrivée d’un Cycle. Forcément éclectique, le Cycle Saul Bass regroupe certains films de grands cinéastes (Wilder, Preminger, Scorsese…) avec lesquels le graphiste a travaillés. La vague Bass qui submerge nos écrans cette semaine laisse tout de même quelques places à nos précédents succès, dont Les Proies, le dernier Sofia Coppola qui obtint le Prix de la mise en scène à Cannes 2017, Upstream Color, ovni de science-fiction de Shane Carruth, Wilson, comédie grinçante et incorrecte de Craig Johnson, Fight Club, incontournable de David Fincher, Le Privé, polar décalé de Robert Altman et les touchantes Certain Women de Kelly Reichardt.
Otto Preminger – nonobstant son talent et ses films phares, dont Autopsie d’un meurtre – marqua aussi l’histoire du cinéma en ouvrant les portes d’Hollywood à un jeune graphiste new-yorkais qui venait de créer son agence de publicité à Los Angeles. En 1954, Saul Bass commença par concevoir l’affiche, puis le générique de Carmen Jones, avant de devenir le collaborateur attitré de Preminger. Le style de Bass, très symbolique et épuré, rompait radicalement avec l’ambiance plan-plan de la communication cinématographique d’alors. Il séduisit rapidement d’autres réalisateurs qui voulurent que la pure patte du graphiste s’inscrivît dans leurs œuvres. Ainsi, outre avec Hitchcock, Saul travailla avec John Frankenheimer (Seconds), Robert Wise (West Side Story) ou Billy Wilder (Sept ans de reflexion), devenant ainsi le plus grand créateur de génériques des années 60. Trente ans plus tard, l’exigeant Martin Scorsese rappela le graphiste pour qu’il collabore sur ses films. Bass interviendra à quatre reprises (pour Les Affranchis, Les Nerfs à vif, Le Temps de l’innocence, et Casino, qui sera sa dernière œuvre avant son décès en 1996 pour le grand Martin, contribuant à la dynamique et la beauté de ses films. Les films cités constituent le Cycle que nous consacrons à cet artiste. Entre ces deux périodes de gloires génériques, Saul Bass, tout en poursuivant une prolifique carrière publicitaire, s’était lancé dans la réalisation. Après un prometteur court-métrage documentaire, il passa directement au long-métrage de fiction avec Phase IV en 1974. Ce film exigeant et étrange, racontant de façon scientifique la mutation d’une colonie de fourmis prête à terrasser l’humanité, dérouta un peu le public, mais conquit une certaine critique, et notamment le jury du Festival du Film Fantastique d’Avoriaz qui lui décerna son Prix du Jury. Cet accueil mitigé et les rapports difficiles du réalisateur et de la production empêchèrent Saul Bass de renouveler l’expérience derrière la caméra. Dommage car, plus de 40 ans après sa sortie, le film est d’une étonnante beauté plastique et, avare de dialogues, laisse le pouvoir à l’image. Avec le discours apocalyptique, c’est l’une des raisons qui en font un film culte. Par ailleurs, il nous invite à regarder les fourmis de façon très différente. A voir absolument.
Nous allons conclure cette lettre avec l’Enfance de l’Art, ce qui ne devrait pas surprendre nos lecteurs réguliers. En revanche, ils seront toujours étonnés, quel que soit leur âge, par l’extraordinaire Chicken Run, la grande évasion des poulets de Nick Park et Peter Lord, réinventeurs du film d’animation. La projection de ce petit bijou sera précédée de celle du court-métrage Merlot et mercredi d’une séance spéciale avec un atelier de sérigraphie d’affiches.
Bonne semaine.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action