Au large de Shutter Island.
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Martin Scorsese est autant cinéaste que cinéphile. Pour son dernier film, Shutter Island, il s’est nourri (et a nourri son équipe) de son immense culture cinématographique, qu’il a lui même mis en scène dans ses Voyages à travers le cinéma (en DVD). Afin d’aller au bout de la démarche, le Grand Action vous propose cette semaine une programmation Au Large de Shutter Island, vers les sources de l’inspiration scorsesienne.
Autre programmation spéciale, celle à laquelle nous convie l’ECU, festival européen du film indépendant. Equivalent européen du Sundance Festival, il célèbre pendant 3 jours un cinéma libre et novateur. Plusieurs films venus du monde entier s’affrontent dans plusieurs catégories (fictions, courts métrages, documentaires, films expérimentaux…) lors de projections dont bon nombre se tiendront dans nos salles ce week-end. Rendez-vous sur le site www.ecufilmfestival.com pour en savoir plus. Ce festival ECU demeure en tout état de cause une occasion rêvée pour les cinéphiles de faire des découvertes, dont certaines méritent le détour. Et puis tous les festivals ne sont pas aussi ouverts, alors profitons-en !
Shutter Island débute dans le vomi et la brume. Le mal de mer, pourtant d’huile avant la tempête, qui saisit le Marshal Leonardo DiCaprio venu enquêter sur une étrange disparition dans une prison psychiatrique, est révélateur de son malaise. Au fil des séquences, d’autres pistes laissent entrevoir que quelque chose ne tourne pas rond : le ciel irréel qui précède le déchaînement des éléments, l’étrange nouveau binôme du marshal (Marc Ruffalo), l’inquiétant et flegmatique psychiatre (Ben Kinsley), les décors baroques, gothiques, expressionnistes, de ce bagne pour malades dangereux. Submergé par les visions horrifiques de son passé douloureux, le héros se perd. Pourquoi est-il ici ? Pour mener une enquête ? Pour régler un compte ? Pour se venger ? Ou pour une tout autre raison que seule sa paranoïa connaît. En adaptant le roman de Dennis Lehane – qui portait déjà une immense force cinématographique – Scorsese s’est amusé à brouiller les pistes, à bringuebaler ses personnages et ses spectateurs aux portes de la folie. De presque toutes les scènes, Léo est impressionnant dans le rôle du marshal autant perturbé par ce qu’il découvre que par ce qu’il a vécu. Ses cauchemars terrifiants sont parmi les séquences les plus marquantes. La suite donne un sens à l’agonie du nazi, aux cadavres abandonnés et à la pluie de cendres qui tombent sur son couple disparu. Michelle Williams, la belle fantôme aimée qui hante le héros, est magnifique, à l’unisson de la brillante distribution, où apparaît aussi Max von Sydow, acteur historique de Bergman.
Pour ce film Hitchcockien, dont l’action se situe en 1954, Scorsese a puisé dans les productions de Val Lewton, russe d’origine et mort à 47 ans, à qui l’on doit certaines des plus fameuses et brillantes série B d’angoisse des années 40 et 50. Lewton a notamment soutenu les films de Jacques Tourneur, cinéaste français réfugié pendant la guerre aux USA et auteur des superbes Vaudou et La Féline, ainsi que ceux de Mark Robson, qui fut le monteur de Tourneur avant de passer à la réalisation. On lui doit la Septième Victime, et l’Île des Mort, avec Boris Karloff.
Ces quatre œuvres un peu oubliées sont au programme de « Au Large de Shutter Island ». On pourra aussi y voir quelques perles méconnus du films noirs, comme Feux Croisés, une enquête border line menée par Edward Dmytryk, La Maison dans l’Ombre, de Nicolas Ray, où Robert Ryan incarne un flic aussi violent qu’efficace, et La Griffe du Passé, un autre bijou de Jacques Tourneur, où Robert Mitchum et Kirk Douglas sont rattrapés par le temps. Plus connus sous le titre de Pendez-moi Haut et Court, ce film fut qualifié par Léonardo de « plus cool qu’il ait jamais vu ». On ne sait pas si « cool » est le mot…
Pour finir, signalons que Love Story est encore à l’affiche et que l’Enfance de l’Art nous propose ce mercredi le Château dans le Ciel, féérie animée de Hayao Miyazaki.
Isabelle Gibbal-Hardy et l’équipe du Grand Action